vendredi 13 juillet 2012

Post-scriptum à « ovni archéologie »


(description) 
    
Posé dans l'herbe, à proximité d'habitations humaines, un macro-objet attire notre attention par ses propriétés singulières, notamment par sa forme surprenante (incongrue en ce lieu) : celle d'un exosquelette d'oursin, dépourvu de ses épines, comme partiellement enraciné dans le sol, qui ne laisserait apparaître de son enveloppe que sa face aborale (sa face supérieure, percée en son sommet par l'équivalent d'un anus ; inversion déconcertante par rapport à notre anatomie – la « bouche » des échinidés étant quant à elle tournée vers le bas, en contact avec le substratum sous-marin). Dilaté à l'extrême, à la limite du collapsus, l'objet en présence a quelque chose de monstrueux en raison de sa taille (la partie émergée de la coquille présente déjà à elle seule des dimensions importantes, colossales pour un organisme vivant et a fortiori pour un invertébré). Sa forme régulière, symétrique, est en revanche parfaite en son genre. Sa texture lisse, d'une blancheur synthétique (quoique recouverte par endroits d'une fine couche grise, biofilm, mousses ou poussières signalant le caractère polluant des activités humaines à proximité du site), n'évoque pas le test abandonné (chitineux ou composite) d'un oursin, ni la lourde présence minérale d'un fossile, mais confère davantage à cet hémisphère (légèrement aplati) une élégance rétro-futuriste, accentuée par la répartition harmonieuse de hublots à sa surface. À la faveur d'une ouverture étroite, pratiquée sur le côté des panneaux de bois destinés à en interdire l'accès, nous profiterons (à plusieurs reprises) de l'opportunité de nous glisser à l'intérieur de cette carcasse immobile et silencieuse (en prenant garde toutefois à la couronne de fil de fer barbelé, qui entend bien nous dissuader de tenter cette intrusion). Passé le sas d'entrée, nous voici introduits au sein d'un volume, qui de façon abstraite (mathématiquement) serait généré par la révolution d'un arc de cercle autour d'un axe, dans un espace tridimensionnel. La pureté de la forme géométrique de la structure interne, simple revers concave de l'habitacle externe, isole une portion d'espace – espace dont nous faisons présentement l'expérience. La coupole suspendue au-dessus de nous est formée par l'assemblage de panneaux blancs, moulés dans une matière plastique, assujettis et supportés par trente-six arches métalliques apparentes, qui convergent non vers une clef de voûte, mais vers un oculus recouvert, laissant apercevoir l'hélice d'une turbine. Toutes les deux rangées, les sections radiaires sont percées de hublots transparents, au nombre de sept (7 X 36/2), dont la taille décroît à mesure qu'ils se rapprochent du sommet, prodiguant par là même une luminosité rassurante et laissant apparaître la végétation environnante (ainsi que quelques morceaux d'un ciel gris clair ; une voûte sous une voûte, en somme). L'habitacle nous protège de la pluie qui tombe sur sa surface externe. Le bruit de chaque gouttelette est amplifié par cette vaste caisse de résonance et se mêle aux autres, tandis que les sons émis depuis l'intérieur par nos propres pas se trouvent réverbérés. Une grande excavation rectangulaire de 25X10m, et de profondeur croissante (cf. les indications aux deux extrémités du bassin « 0,8m » et « 2m ») permet d'inférer avec un degré de certitude satisfaisant la fonction originelle du bâtiment : il s'agit bien évidemment des vestiges de thermes contemporains. Les parois du bassin tout comme celles de l'habitacle sont recouvertes çà et là de graffiti (dessins et inscriptions, parfois obscènes) tracés maladroitement par d'autres visiteurs sorte d'art pariétal néo-primitif.
Les quatre bornes de béton surplombant le bassin, numérotées suivant une progression algébrique simple n+1 (de 1 à 4), ne serviront plus jamais de plongeoirs.





































Épilogue 

 

 

 
Retourné plusieurs fois sur le site depuis ces quelques explorations. Constaté la présence de grillages supplémentaires. Vu avec un certain regret l'arrivée des engins chargés d'opérer la démolition du bâtiment. Observé distraitement les ouvriers au travail, démontant les panneaux de polyester de la coupole. Découvert un jour de repos un tunnel dans la clôture végétale encerclant pour partie la piscine. Revenu sur place une dernière fois, plus d'une semaine après le début du chantier de démolition, pour constater la disparition de la coupole, à laquelle s'était substitué un enchevêtrement inextricable de poutrelles d'acier tordues, évoquant peut-être les débris du crash d'une soucoupe volante. De ce dôme, de trente-cinq mètres de diamètre pour six mètres de hauteur, il ne reste rien désormais. Seuls des fragments de la dalle de béton sur laquelle il s'élevait subsistent. Le cratère du bassin n'est pas encore comblé. Un large anneau de béton indique toujours de façon précise l'emplacement depuis lequel s'élevait la structure hémisphérique.
Paradigmatique de l'architecture à l'ère de sa reproductibilité industrielle, cette construction appartenait à la série des piscines dites « Tournesol » (conçues pour pouvoir s'ouvrir par beau temps sur 120° grâce à un système d'arches coulissantes). Dessinées par l'architecte Bernard Schoeller, 183 d'entre elles (sur les 250 initialement prévues) seront réalisées (entre 1970 et 1981). Cette occurrence s'insérait aux abords d'un lotissement constitué de maisons mitoyennes identiques, dont l'existence sérielle fait écho à celle de la piscine. Bon marché, de construction rapide – les éléments préfabriqués de la coupole n'avaient plus qu'à être assemblés sur place – ces édifices présentent en contrepartie une tendance à se dégrader de façon tout aussi rapide, faute de politique de conservation adaptée. L'exemplaire en question aura eu une durée de vie d'à peine 37 ans. Son lent processus de délabrement, encouragé par le manque d'entretien et les dégradations volontaires, s'est trouvé brutalement accéléré par l'arrivée des pelleteuses. Ces ruines prématurées d'une modernité périmée, réduites à l'état de gravats (aussitôt évacués), laissent peu à peu la place à un terrain vague boueux, virginisé, décapé de son histoire, que la végétation sauvage viendra (en attendant un nouvel usage) progressivement recouvrir.