lundi 8 octobre 2012
vendredi 13 juillet 2012
Post-scriptum à « ovni archéologie »
(description)
Posé
dans l'herbe, à proximité d'habitations humaines, un macro-objet
attire notre attention par ses propriétés singulières, notamment par sa forme surprenante (incongrue en ce lieu) : celle d'un
exosquelette d'oursin, dépourvu de ses épines, comme partiellement
enraciné dans le sol, qui ne laisserait apparaître de son enveloppe
que sa face aborale (sa face supérieure, percée en son
sommet par l'équivalent d'un anus ; inversion déconcertante par
rapport à notre anatomie – la « bouche » des échinidés
étant quant à elle tournée vers le bas, en contact avec le
substratum sous-marin). Dilaté à l'extrême, à la limite du
collapsus, l'objet en présence
a quelque chose de monstrueux
en raison de sa taille (la partie émergée de la coquille présente
déjà à elle seule des dimensions importantes, colossales pour un
organisme vivant et a fortiori pour un invertébré). Sa forme
régulière, symétrique, est en revanche parfaite en son genre.
Sa texture lisse, d'une blancheur synthétique (quoique recouverte
par endroits d'une fine couche grise, biofilm, mousses ou poussières
signalant le caractère polluant des activités humaines à proximité
du site), n'évoque pas le test abandonné (chitineux ou composite)
d'un oursin, ni la lourde présence minérale d'un fossile, mais
confère davantage à cet hémisphère (légèrement aplati) une
élégance rétro-futuriste, accentuée par la répartition
harmonieuse de hublots à sa surface. À la faveur d'une ouverture
étroite, pratiquée sur le côté des panneaux de bois destinés à
en interdire l'accès, nous profiterons (à plusieurs reprises) de
l'opportunité de nous glisser à l'intérieur de cette carcasse
immobile et silencieuse (en prenant garde toutefois à la couronne de
fil de fer barbelé, qui entend bien nous dissuader de tenter cette
intrusion). Passé le sas d'entrée, nous voici introduits au sein
d'un volume, qui de façon abstraite
(mathématiquement) serait généré par la révolution d'un arc de
cercle autour d'un axe, dans un espace tridimensionnel. La
pureté de la forme géométrique de la structure interne, simple
revers concave de l'habitacle externe, isole une portion d'espace –
espace dont nous faisons présentement l'expérience.
La coupole suspendue au-dessus de nous est formée par
l'assemblage de panneaux blancs, moulés dans une matière plastique,
assujettis et supportés par trente-six arches métalliques
apparentes, qui convergent non vers une clef de voûte, mais vers un
oculus recouvert, laissant
apercevoir l'hélice d'une turbine. Toutes les deux rangées, les
sections radiaires sont percées de hublots transparents, au nombre
de sept (7 X 36/2), dont la taille décroît à mesure qu'ils se
rapprochent du sommet, prodiguant par là même une luminosité
rassurante et laissant apparaître la végétation environnante
(ainsi que quelques morceaux d'un ciel gris clair ; une voûte sous
une voûte, en somme). L'habitacle nous protège de la pluie qui
tombe sur sa surface externe. Le bruit de chaque gouttelette est
amplifié par cette vaste caisse de résonance et se mêle aux
autres, tandis que les sons émis depuis l'intérieur par nos propres
pas se trouvent réverbérés. Une grande excavation rectangulaire de
25X10m, et de profondeur croissante (cf. les indications aux deux
extrémités du bassin « 0,8m » et « 2m »)
permet d'inférer avec un degré de certitude satisfaisant la
fonction originelle du bâtiment : il s'agit bien évidemment des
vestiges de thermes contemporains. Les parois du bassin tout comme
celles de l'habitacle sont recouvertes çà et là de graffiti
(dessins et inscriptions, parfois obscènes) tracés maladroitement
par d'autres visiteurs – sorte d'art pariétal néo-primitif.
Les quatre bornes de béton surplombant le bassin, numérotées suivant une progression algébrique simple n+1 (de 1 à 4), ne serviront plus jamais de plongeoirs.
Les quatre bornes de béton surplombant le bassin, numérotées suivant une progression algébrique simple n+1 (de 1 à 4), ne serviront plus jamais de plongeoirs.
Épilogue
Retourné
plusieurs fois sur le site depuis ces quelques explorations. Constaté
la présence de grillages supplémentaires. Vu avec un certain regret
l'arrivée des engins chargés d'opérer la démolition du bâtiment.
Observé distraitement les ouvriers au travail, démontant les
panneaux de polyester de la coupole. Découvert un jour de repos un
tunnel dans la clôture végétale encerclant pour partie la piscine.
Revenu sur place une dernière fois, plus d'une semaine après le
début du chantier de démolition, pour constater la disparition de
la coupole, à laquelle s'était substitué un enchevêtrement
inextricable de poutrelles d'acier tordues, évoquant peut-être les
débris du crash d'une soucoupe volante. De ce dôme, de trente-cinq
mètres de diamètre pour six mètres de hauteur, il ne reste rien
désormais. Seuls des fragments de la dalle de béton sur laquelle il
s'élevait subsistent. Le cratère du bassin n'est pas encore comblé.
Un large anneau de béton indique toujours de façon précise
l'emplacement depuis lequel s'élevait la structure hémisphérique.
Paradigmatique de
l'architecture à l'ère de sa
reproductibilité industrielle, cette construction
appartenait à la série des piscines dites « Tournesol »
(conçues pour pouvoir s'ouvrir par beau temps sur 120° grâce à un
système d'arches coulissantes). Dessinées par l'architecte Bernard
Schoeller, 183 d'entre elles (sur les 250 initialement prévues)
seront réalisées (entre 1970 et 1981). Cette occurrence s'insérait
aux abords d'un lotissement constitué de maisons mitoyennes
identiques, dont l'existence sérielle fait écho à celle de la
piscine. Bon marché, de construction rapide – les éléments
préfabriqués de la coupole n'avaient plus qu'à être assemblés
sur place – ces édifices présentent en contrepartie une tendance à se dégrader de façon tout aussi rapide, faute de politique de
conservation adaptée. L'exemplaire en question aura eu une durée de
vie d'à peine 37 ans. Son lent processus de délabrement, encouragé
par le manque d'entretien et les dégradations volontaires, s'est
trouvé brutalement accéléré par l'arrivée des pelleteuses. Ces
ruines prématurées d'une modernité périmée, réduites à l'état
de gravats (aussitôt évacués), laissent peu à peu la place à un
terrain vague boueux, virginisé, décapé de son histoire, que la
végétation sauvage viendra (en attendant un nouvel usage)
progressivement recouvrir.
jeudi 17 mai 2012
Architecture tératologique
(texte
labyrinthique sur un projet différé)
Admettons
qu’une certaine tératologie
soit susceptible de prendre en charge, au moyen d’un discours
rationnel s'efforçant de se rendre adéquat à son objet, non plus
tant le vivant monstrueux que le milieu propre à ce dernier. Borges
suggérait déjà en plusieurs endroits1
cette convenance
– et justification mutuelle – du Minotaure et du labyrinthe,
de l’habitant monstrueux et d'un lieu non moins monstrueux, en
ceci qu’il s’agissait d’une habitation destinée
essentiellement à ce que celui qui y demeure
ne puisse aucunement s’en extraire2.
Fruit
de l’union contre
nature
du fabuleux taureau blanc envoyé par Poséidon, que Minos devait
sacrifier en échange du trône de Crète, et de Pasiphaé (aidée en
cela par Dédale, « L'Astucieux », qui conçut la vache
de bois creuse dans laquelle l'épouse de Minos devait être
fécondée), Astérion, dit le
Minotaure,
incarnait cette transgression majeure, en juxtaposant de façon
scandaleuse humanité et animalité en un même organisme. Aussi
fallait-il occulter par occlusion cette insulte à la normalité,
et lui bâtir une prison, conformément aux recommandations
de l'oracle de Delphes : ainsi,
par cette absorption excluante, la monstruosité devait se trouver
endiguée, et l’intégrité du monde, dans son fonctionnement
non-pathologique, sauvegardée. Un subterfuge (peut-être analogue au
processus de refoulement par lequel notre psychisme enfouit ce qu'il
n'ose
admettre)
devait prévenir toute contamination, tout épanchement par lequel se
serait déversé dans l’univers ce qui par son existence inavouable
en subvertissait les lois ; nul besoin de verrous, puisque les
circonvolutions inlassables des galeries avaient pour fonction de
prévenir toute évasion, quoique la possibilité de celle-ci devait
rester (mais en
droit
seulement) ouverte : un orifice était en effet exigé pour alimenter
le résident du lieu, tandis que le labyrinthe, au cours de cette
manducation cruelle,
devait entièrement digérer l’intégralité de ses hôtes offerts
en sacrifices – ou du moins ne tolérer aucune excrétion (à
l'image du schizophrène à l'anus cousu, expérimentation d'un
corps-sans-organes). La
rencontre entre deux aberrations de cet ordre (le Minotaure/le
labyrinthe) n’a sans doute rien de fortuite, et cet ingénieux
stratagème par lequel Dédale, l’inventeur légendaire, réparait
en partie sa faute – au prix d’un terrible retour de la
monstruosité sur elle-même – venait pourtant la redoubler,
fournissant ainsi par anticipation une allégorie des errements de la
technique moderne, en tant que science sans conscience qui
engendre par les solutions mêmes qu'elle propose de nouveaux
problèmes, devant à leur tours être résolus. Dès lors,
si le Minotaure et le labyrinthe se justifient réciproquement, ils
semblent en revanche devoir nécessairement produire à l’infini
autant de labyrinthes
de labyrinthes,
destinés
à les circonscrire – abîmes insondables au même titre que ces
rêves qui se creusent
en d’autres rêves, lorsque
nous rêvons que nous rêvons.
Car le labyrinthe entretient toujours déjà une relation à la
multiplicité et à la répétition3,
puisqu’il renferme le plus de déterminations possibles (chemins,
replis sinueux, bifurcations, impasses…) dans un espace réduit –
induisant
ainsi claustrophobie, mais aussi vertige et sentiment de perte,
évoquant par là même l'expérience humaine de l'angoisse et la
déréliction de l'individu, devant faire usage de son libre-arbitre,
face à la myriade
de choix de son destin, disposés eux-mêmes sur un plateau.
Borges (encore) indique dans l’une de ses nouvelles4
ce que serait un lieu monstrueux au plus au degré : si la vocation
du labyrinthe est bien de « confondre les hommes », un
dessein préside encore à sa réalisation ; en revanche une cité
vide dont l’architecture apparaîtrait comme étant entièrement
privée d’intention ne pourrait manquer de susciter un malaise
effroyable.
Œuvre du hasard et de la combinaison d'une pluralité d’éléments
(murs, escaliers, places, colonnades, ruelles, etc.) enchevêtrés à
la manière des atomes démocritéens dérivant aveuglément dans le
vide infini, une telle ville serait au labyrinthe ce qu’une suite
interminable et inintelligible de mots articulés les uns aux autres
(alors que rien ne prescrirait a
priori
ces enchaînements) serait à un texte décrivant un objet
inimaginable tel le chiliogone,
cette figure à mille côtés, ou un solide possédant autant de
faces. L’acte
démiurgique (de dêmiourgos,
« l’architecte », terme par lequel le discours du Timée
de Platon désigne cet être divin qui donne naissance au monde, non
par une création ex
nihilo
– idée étrangère au monde hellénique – mais par
l’organisation de la chôra,
c'est-à-dire par l’information d’une matière amorphe) trouve
son reflet inversé
dans cette parodie de cosmogonie, dont seul le chaos semble pouvoir
advenir. La ville monstrueuse serait donc privée d’αρχη
(archè),
au sens de « principe », de « commandement »,
bien que ce caractère anarchique
puisse paradoxalement résulter également de la multiplicité
excessive d’architectes,
dont les projets disparates se contrediraient ou manqueraient
d’harmonie5.
Construisons encore en notre esprit, si cela est possible, une ville
dont tous les bâtiments seraient, depuis sa fondation, conservés
dans la succession temporelle, en dépit de ces attributs essentiels
de l'étendue que sont l’antitypie ou l’impénétrabilité
:
ville-palimpseste,
dont les textes antérieurs, pourtant effacés, referaient surface,
pour se confondre en un lacis inextricable6.
Seule une ultime fiction pourrait alors surpasser ce qui a déjà de
loin dépassé toutes les chimères communes : elle pourrait être
forgée à partir d'une certaine lecture (erronée) de la Monadologie
leibnizienne, selon laquelle la superposition des points de vue de
différents observateurs sur une même ville (c’est-à-dire, dans
cette métaphore, des âmes ou substances spirituelles – monades –
sur le monde)7
consisterait en cette ville elle-même, là où en vérité, comme
nous le pressentons avec horreur, nous n’aurions qu’une
terrifiante et inconcevable a n a m o r p h o s e .
.
.
.
.
.
.
1 Le
Livre des êtres imaginaires,
p. 154 ; « Abenhacan el Bokhari » in
L’aleph, pp.
165-166.
2 Pseudo-Apollodore,
Bibliothèque, III, 1, 3.
3 « Un
labyrinthe est dit multiple étymologiquement, parce qu’il a
beaucoup de plis », Deleuze, Le
Pli. Leibniz et le Baroque,
p. 5.
4 « L’immortel »,
in L’aleph,
p.23.
5 Descartes,
Discours de la
Méthode, II. Ce sont
pourtant bien les « villes à la Descartes », érigées
selon un projet
rationnel et un tracé géométrique sur une tabula
rasa, qui nous
semblent au plus haut point monstrueuses et inhabitables.
6 Freud,
Le Malaise dans la
Culture, I :
« Faisons maintenant l’hypothèse fantastique que Rome n’est
pas un lieu d’habitations humaines, mais un être psychique, qui a
un passé pareillement long et riche en substance et dans lequel
donc rien de ce qui s’est une fois produit n’a disparu, dans
lequel, à côté de la dernière phase de développement,
subsistent encore également toutes les phases antérieures [...] ».
7 Leibniz,
Discours de Métaphysique,
§9 ; Principes
logico-métaphysiques :
« toutes les
substances singulières créées sont des expressions différentes
du même univers et
de la même cause universelle, à savoir Dieu ; mais elles
varient par la perfection de l’expression, comme des
représentations ou scénographies différentes de la même ville
vue de différents points ».
dimanche 29 avril 2012
From Link To Link
http://fromlinktolink.blogspot.fr/
avec Catherine Schwartz
Auditorium du musée des Beaux-arts de Rouen
Dans le cadre du colloque international organisé par le laboratoire Edith de L'ESADHaR, École Supérieure d'Art et Design Le Havre / Rouen.
"Un atlas de la microédition : quelles routes pour quels enjeux ?"
22 mars 2012
WarsawwasraW
« WARSAWWASRAW »
: une signature spéculaire en forme d'énigme, revenant
intégralement sur elle-même et construite lettre après lettre,
dont l'objet, outre l'introduction du trouble, est de dénoter une
entité gémellaire et incandescente, obtenue au terme d'un processus
de soustractions réitérées, et à l'image d'un organisme anormal,
échappé d'un bestiaire délirant, dont le mode de fonctionnement
(paradoxal) consisterait à s'amputer lui-même, membre après
membre. Quintette puis quartette puis trrrio, la « bestiole »
– actuellement dans un équilibre méta-stable dont personne ne
peut réellement présumer de l'issue – est aujourd'hui placée
sous le signe de la dyade, qui symbolise au mieux l'essence de
la confrontation et de l'urgence, faisant ainsi écho (jeu de miroir
là encore) à ce nom obsédant, constitué de symétries et
d'inversions. Ces architectes du bruit, impavides, sculptent leurs
cathédrales à coup de grenades, tandis que nous nous trouvons
immergés au coeur d'un flux sonore indomptable, dont le
rugissement/surgissement n'est interrompu que par de courtes plages
d'un silence, évidemment hésitant, mais tout aussi outrageusement
violent. Transgression turgescente, accidents ferroviaires,
géométrie bipolaire, chaos maîtrisé : célébrons les
« ANARCHITECTES ».
Prön Flavürdik : une biographie
Prön Flåvürdik, groupe au nom beaucoup moins imprononçable qu'il n'y paraît
au premier regard, continue à croître et à se métamorphoser depuis 2004, arrosé par la
bruine de Rouen, ville brumeuse dont sont originaires ses membres.
Amphibienne, l'entité s'accommode aussi bien de l'obscurité des caves de lieux
interlopes que de la clarté du white cube d'une galerie d'art.
Elle produit une musique surprenante, à dominante instrumentale – musique
cinématographique, au sens où ses compositions fonctionnent comme autant de
musiques de films. Mais de films jamais tournés, qui se projettent néanmoins sur la
surface de l'esprit de l'auditeur, pour le transpercer en profondeur. Et où, selon l'imaginaire
de chacun, la créature d'Alien pourrait s'être égarée sur le plateau de tournage d'un porno
réalisé par Sergio Leone, avant de nous poursuivre dans le labyrinthe de Shining. Ou le
palais des glaces de The Lady From Shanghai.
Dernière réalisation en date, Legacy, album constitué d'une unique piste pour une
durée approximative de 40 minutes (tout comme ses trois prédécesseurs), procède par
déploiement organique, et propose comme expérience une longue apnée à travers une
pluralité de climats.
Lourds riffs reptiliens, obsédants, nappes de synthétiseurs en expansion, basses
percussives, saturation de l'espace sonore, voix vocodées. Un exosquelette métallique
rampe, accélère. Ses articulations grincent. Le carnage est imminent. (Hurlements). Des
respirations suivent les brisures, des voix lointaines psalmodient des mantras pour un
culte stellaire secret, dans la noirceur de l'obsidienne. Un cheminement initiatique vers
une Transcendance cachée à l'extrémité d'un tunnel infini.
Musique exigeante, pas si éloignée toutefois de la scène punk-hardcore
dans laquelle elle s'enracine (elle en conserve l'urgence et la fureur), mais dont elle a su
s'émanciper pour produire une musique autre.
Développant son univers propre, la formation n'est pas pour autant autarcique.
À géométrie variable, aujourd'hui stabilisée sous la forme d'un quartet, après avoir
fusionné le temps d'un enregistrement avec une autre formation rouennaise (Le Noise
Addicted Ensemble et ses cuivres free-jazz), elle suscite collaborations diverses et
rencontres insolites.
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