(description)
Posé
dans l'herbe, à proximité d'habitations humaines, un macro-objet
attire notre attention par ses propriétés singulières, notamment par sa forme surprenante (incongrue en ce lieu) : celle d'un
exosquelette d'oursin, dépourvu de ses épines, comme partiellement
enraciné dans le sol, qui ne laisserait apparaître de son enveloppe
que sa face aborale (sa face supérieure, percée en son
sommet par l'équivalent d'un anus ; inversion déconcertante par
rapport à notre anatomie – la « bouche » des échinidés
étant quant à elle tournée vers le bas, en contact avec le
substratum sous-marin). Dilaté à l'extrême, à la limite du
collapsus, l'objet en présence
a quelque chose de monstrueux
en raison de sa taille (la partie émergée de la coquille présente
déjà à elle seule des dimensions importantes, colossales pour un
organisme vivant et a fortiori pour un invertébré). Sa forme
régulière, symétrique, est en revanche parfaite en son genre.
Sa texture lisse, d'une blancheur synthétique (quoique recouverte
par endroits d'une fine couche grise, biofilm, mousses ou poussières
signalant le caractère polluant des activités humaines à proximité
du site), n'évoque pas le test abandonné (chitineux ou composite)
d'un oursin, ni la lourde présence minérale d'un fossile, mais
confère davantage à cet hémisphère (légèrement aplati) une
élégance rétro-futuriste, accentuée par la répartition
harmonieuse de hublots à sa surface. À la faveur d'une ouverture
étroite, pratiquée sur le côté des panneaux de bois destinés à
en interdire l'accès, nous profiterons (à plusieurs reprises) de
l'opportunité de nous glisser à l'intérieur de cette carcasse
immobile et silencieuse (en prenant garde toutefois à la couronne de
fil de fer barbelé, qui entend bien nous dissuader de tenter cette
intrusion). Passé le sas d'entrée, nous voici introduits au sein
d'un volume, qui de façon abstraite
(mathématiquement) serait généré par la révolution d'un arc de
cercle autour d'un axe, dans un espace tridimensionnel. La
pureté de la forme géométrique de la structure interne, simple
revers concave de l'habitacle externe, isole une portion d'espace –
espace dont nous faisons présentement l'expérience.
La coupole suspendue au-dessus de nous est formée par
l'assemblage de panneaux blancs, moulés dans une matière plastique,
assujettis et supportés par trente-six arches métalliques
apparentes, qui convergent non vers une clef de voûte, mais vers un
oculus recouvert, laissant
apercevoir l'hélice d'une turbine. Toutes les deux rangées, les
sections radiaires sont percées de hublots transparents, au nombre
de sept (7 X 36/2), dont la taille décroît à mesure qu'ils se
rapprochent du sommet, prodiguant par là même une luminosité
rassurante et laissant apparaître la végétation environnante
(ainsi que quelques morceaux d'un ciel gris clair ; une voûte sous
une voûte, en somme). L'habitacle nous protège de la pluie qui
tombe sur sa surface externe. Le bruit de chaque gouttelette est
amplifié par cette vaste caisse de résonance et se mêle aux
autres, tandis que les sons émis depuis l'intérieur par nos propres
pas se trouvent réverbérés. Une grande excavation rectangulaire de
25X10m, et de profondeur croissante (cf. les indications aux deux
extrémités du bassin « 0,8m » et « 2m »)
permet d'inférer avec un degré de certitude satisfaisant la
fonction originelle du bâtiment : il s'agit bien évidemment des
vestiges de thermes contemporains. Les parois du bassin tout comme
celles de l'habitacle sont recouvertes çà et là de graffiti
(dessins et inscriptions, parfois obscènes) tracés maladroitement
par d'autres visiteurs – sorte d'art pariétal néo-primitif.
Les quatre bornes de béton surplombant le bassin, numérotées suivant une progression algébrique simple n+1 (de 1 à 4), ne serviront plus jamais de plongeoirs.
Les quatre bornes de béton surplombant le bassin, numérotées suivant une progression algébrique simple n+1 (de 1 à 4), ne serviront plus jamais de plongeoirs.
Épilogue
Retourné
plusieurs fois sur le site depuis ces quelques explorations. Constaté
la présence de grillages supplémentaires. Vu avec un certain regret
l'arrivée des engins chargés d'opérer la démolition du bâtiment.
Observé distraitement les ouvriers au travail, démontant les
panneaux de polyester de la coupole. Découvert un jour de repos un
tunnel dans la clôture végétale encerclant pour partie la piscine.
Revenu sur place une dernière fois, plus d'une semaine après le
début du chantier de démolition, pour constater la disparition de
la coupole, à laquelle s'était substitué un enchevêtrement
inextricable de poutrelles d'acier tordues, évoquant peut-être les
débris du crash d'une soucoupe volante. De ce dôme, de trente-cinq
mètres de diamètre pour six mètres de hauteur, il ne reste rien
désormais. Seuls des fragments de la dalle de béton sur laquelle il
s'élevait subsistent. Le cratère du bassin n'est pas encore comblé.
Un large anneau de béton indique toujours de façon précise
l'emplacement depuis lequel s'élevait la structure hémisphérique.
Paradigmatique de
l'architecture à l'ère de sa
reproductibilité industrielle, cette construction
appartenait à la série des piscines dites « Tournesol »
(conçues pour pouvoir s'ouvrir par beau temps sur 120° grâce à un
système d'arches coulissantes). Dessinées par l'architecte Bernard
Schoeller, 183 d'entre elles (sur les 250 initialement prévues)
seront réalisées (entre 1970 et 1981). Cette occurrence s'insérait
aux abords d'un lotissement constitué de maisons mitoyennes
identiques, dont l'existence sérielle fait écho à celle de la
piscine. Bon marché, de construction rapide – les éléments
préfabriqués de la coupole n'avaient plus qu'à être assemblés
sur place – ces édifices présentent en contrepartie une tendance à se dégrader de façon tout aussi rapide, faute de politique de
conservation adaptée. L'exemplaire en question aura eu une durée de
vie d'à peine 37 ans. Son lent processus de délabrement, encouragé
par le manque d'entretien et les dégradations volontaires, s'est
trouvé brutalement accéléré par l'arrivée des pelleteuses. Ces
ruines prématurées d'une modernité périmée, réduites à l'état
de gravats (aussitôt évacués), laissent peu à peu la place à un
terrain vague boueux, virginisé, décapé de son histoire, que la
végétation sauvage viendra (en attendant un nouvel usage)
progressivement recouvrir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire